Bolivie : « Les putschistes utilisent les balles, nous le vote souverain du peuple »

publié le dans
Bolivie : « Les putschistes utilisent les balles, nous le vote souverain du peuple »

Entretien avec Orlando Pozo, élu sénateur à 27 ans en octobre dernier, il a depuis été contraint à l’exil après le coup d’État. Il est aujourd’hui à nouveau candidat pour le mouvement vers le socialisme et revient avec nous sur les enjeux du prochain scrutin.

En novembre dernier, le président bolivien Evo Morales était renversé par un coup d’État mené par la bourgeoisie et les secteurs les plus réactionnaires, avec le soutien des États-Unis, et contraint à la démission puis à l’exil au Mexique puis en Argentine.

Malgré une répression féroce qui a fait 35 morts et l’imposition de mesures de régression sociale, le gouvernement de facto de Jeanine Áñez a convoqué des élections générales, qui doivent se tenir le 3 mai prochain. Afin de ne pas laisser l’espace à la droite putschiste, le MAS-IPSP (Mouvement vers le socialisme – Instrument politique pour la souveraineté des peuples, parti d’Evo Morales) participe à celle-ci, notamment avec la candidature de Luis Arce à la présidence.

Âgé de 27 ans, Orlando Pozo a été élu sénateur en octobre 2019, puis contraint à l’exil en Argentine pour échapper aux persécutions suite au coup d’État. Le jeune dirigeant politique et syndical, candidat aux élections de mai, nous présente son analyse de la situation en Bolivie.

Orlando POZZO Orlando Pozo, sénateur

Vous êtes l’un des sénateurs les plus jeunes de l’histoire politique de la Bolivie. Comment en êtes-vous venu à vous intéresser au service public et à rejoindre le Mouvement vers le socialisme ?

J’ai commencé à m’engager dans le service social et pour les droits des personnes les plus défavorisées et marginalisées, qui représentaient la grande majorité du peuple bolivien avant les gouvernements d’Evo Morales. Mon engagement a commencé à mes treize ans, en prenant la direction d’une organisation de jeunes de mon quartier. Je suis aux côtés du processus de luttes du peuple bolivien mené par le camarade Evo Morales et les mouvements sociaux, principalement paysans. J’ai rejoint ce processus en 2008, au moment où la Bolivie faisait face à un premier coup d’État, orchestré par l’ambassade des États-Unis avec la complicité des comités civiques, particulièrement forts dans la ville de Santa Cruz. Ces comités, aux côtés de l’Union de jeunesse crucénienne — une organisation fasciste — imposaient le racisme et le régionalisme aux personnes modestes autochtones, menant des ratonnades contre les paysans et les femmes en pollera [jupe portée par les femmes autochtones].

C’est alors que j’ai décidé de prendre une position politique. Je m’identifiais avec le MAS-IPSP et me sentais touché, car je suis fils de paysans. C’est pourquoi de nombreux jeunes et secteurs sociaux sont entrés en résistance et ont lutté jusqu’à la défaite de la tentative de coup d’État, permise par la conscience du peuple bolivien.

Toute cette expérience, je l’ai mise en pratique au sein de l’Assemblée législative plurinationale, en concentrant mes efforts sur des propositions de lois sur les droits sociaux, l’accès à la terre, les projets agricoles, la participation de la jeunesse, son incidence et son rôle en politique, entre autres sujets.

Tout au long de mon parcours, j’ai participé à des espaces politiques et syndicaux, menant un travail bénévole pour mon peuple et me sentant faire partie de la construction de l’État plurinational.

J’ai ainsi été président des Jeunesses de la municipalité de Montero pour la période 2013-2016 ; dirigeant du Centre des étudiants de la filière d’ingénierie des systèmes de l’Université autonome Gabriel René Moreno entre 2014 et 2016 ; dirigeant de la Centrale ouvrière régionale de Montero et Norte Integrando, avec la responsabilité de délégué à la Centrale ouvrière départementale de Santa Cruz entre 2017 et 2018 ; dirigeant du quartier Villa Virginia dans le district n° 3 de la ville de Montero ; et président départemental des Jeunesses du MAS-IPSP de Santa Cruz entre 2017 et 2020. Dernièrement, j’ai été désigné secrétaire national des Jeunesses de la Confédération syndicale unique des travailleurs paysans de Bolivie (CSUTCB) et élu sénateur à l’Assemblée plurinationale de Bolivie le 20 octobre 2019.

Je suis actuellement candidat au Sénat pour Santa Cruz aux élections du 3 mai. Depuis mon exil.

Que peut apprendre à la gauche et aux personnes solidaires de la Bolivie le coup d’État brutal de novembre dernier ?

La droite n’a pas de sensibilité. L’histoire prouve qu’elle n’apporte que misère, mort et pleurs de pauvreté pour les peuples. Nous devons la combattre par les idées jusqu’au dernier jour de notre vie, afin de construire un monde meilleur. Comme le disait le commandant Ernesto Che Guevara, « à l’empire, même pas un petit peu », c’est-à-dire ne lui laisser aucun espace, aussi réduit soit-il.

En mars se tiendront des élections. Quels en sont les enjeux et défis, et quelle est la stratégie du MAS ?

Lors des élections du 3 mai, ce sont la démocratie, la liberté, la souveraineté et la dignité de toutes et tous les Boliviens qui sont en jeu, ainsi que toutes les avancées du processus de construction de notre État plurinational, en particulier notre économie et l’avenir de notre pays.

Notre défi est de vaincre les putschistes et la dictature qui a été instaurée à la suite du coup d’État, par le vote conscient du peuple et la voie électorale. Nous n’avons pas d’autre chemin. Eux utilisent les balles, nous le vote souverain du peuple.

Notre stratégie est centrée sur l’obtention d’un large soutien international. Nous voulons principalement que des missions d’observateurs de différentes institutions politiques de droits humains et autres puissent se rendre en Bolivie, pour garantir que le processus électoral soit mené de façon transparente et propre. Nous ne faisons confiance ni au Tribunal électoral suprême, car celui-ci dépend du gouvernement de facto, ni à l’OEA, car nous avons vu ses agissements partiaux pendant le coup d’État.

Pour conclure, quel message souhaitez-vous faire passer aux jeunes Français sur la situation en Bolivie ?

Je veux leur dire qu’en tant que jeunes, nous devons lutter pour garantir un avenir meilleur, et que la lutte est continentale, car l’empire, dans son désespoir, attaque les gouvernements populaires et progressistes, cherchant à soumettre les peuples souverains en semant la terreur et la crainte, la faim dans les classes travailleuses, tout cela pour faire perdurer le capitalisme.

Comment soutenir le peuple et la jeunesse de Bolivie depuis la France ?

Le principal soutien est de briser le siège médiatique et d’informer sur la situation réelle dans notre pays. Un deuxième point est de former des commissions de vérité et justice qui nous accompagnent pour la libération des prisonniers politiques et face à la persécution constante à laquelle font face les Boliviennes et Boliviens qui ne sont pas d’accord avec le gouvernement de facto et la dictature. Tout soutien politique et moral est important pour nous dans ces moments auxquels nous faisons face depuis l’exil.


Édition hebdomadaire